De la difficulté d'innover et de la nécessité de retourner à la plume et au papier

Une pensée toute simple qui me vint à l'esprit en proposant mes services aux sociétés est celle de parvenir à proposer l'innovation à la juste personne. C'est-à-dire d'entrer en dialogue avec celui ou celle au pouvoir décisionnel suffisant afin de leur exposer une idée bénéfique.

En théorie, cela semble aller de soi: il est bien entendu que chaque société souhaite augmenter son chiffre d'affaires et est dès lors à l'écoute de toute solution qui irait dans ce sens.

Pourtant, sur le terrain nous sommes confrontés à une structure organisationnelle dans laquelle une idée nouvelle ne se fait pas facilement entendre. Que l'on soit interne ou externe à la société, il y a une chaine de commandement qu'il faut respecter.

Peut-on en toute impunité frapper à la porte de hauts-placés en annoncant:

Bonjour, vous ne me connaissez pas mais j'ai la certitude que vous perdez de l'argent pour des motifs que je puis vous exposer.”

“En avez-vous parlé à votre supérieur?”

“Non, je suis venu directement à vous.”

Ce n'est pas comme ca que l'on fait, entre gens civilisés.

Pour leur défense, il y a un nombre de raisons légitimes pour lesquelles un(e) employé(e) ne serait pas tenté par l'idée de passer par la structure hiérarchique. Il y a d'abord le risque que l'idée se fasse attribuer à autrui ou qu'ils se voient diluer dans la genèse de l'invention au point de s'en retrouver simples accessoires.

Ensuite, il y a le manque de “incentive” comme on dit en anglais – simplement dit: Qu'est-ce que j'y gagne? Si aucun avancement ne vient à moi suite à une idée porteuse de progrès, pourquoi voudrais-je m'impliquer?

En amont, les contrats de travail bien souvent stipulent que toute invention appartient de jure à l'entreprise. Déclarer ouvertement que l'on a inventé quelque chose semble aussi naïf que de crier à haute voix “Qui a perdu 100 euros?”

D'aucuns diraient – plus conservateurs sans doute - “Si tout le monde se met à réfléchir, plus personne ne voudra exécuter!” Il y a pourtant un juste milieu qui doit exister.

La première observation de ce type me vint lorsque je travaillais à la réception d'un hôtel. Les numéros des valises placés à la bagagerie étaient depuis toujours inscrits dans un registre par leur ordre d'arrivée, “plic-ploc”. On retrouvait la valise de la chambre 743 après une longue recherche dans la double page du registre, le 743 étant perdu au milieu de dizaines d'autres numéros.

Je pris un jour l'initiative spontanée de dresser des colonnes par centaines dans le registre. Dorénavant, le 743 serait dans la colonne des 700 – assurant ainsi un gain de temps considérable.

Nous fûmes convoqués à la bagagerie par un chef mécontent: “Qui a fait ca?” demanda t-il tel un maitre d'école. Chacun regardait ses souliers. Lorsque je pris le courage de me dénoncer, il nous annonca avec grande sévérité qu'il autorisait officiellement l'idée...

La leçon que j'en appris était que même bonne, une idée ne bénéficie pas toujours d'une structure accueillante pour prospérer. Les collègues n'étaient pas contents de celui qui avait amélioré une pratique vieille de 15 ans, le chef me tenait d'autant plus à l'oeil mais surtout la chaine de commandement était brisée.

Le patron de Virgin, Richard Branson aurait mieux dû se faire mieux entendre lorsqu'il nous montra l'exemple en accordant une grande importance à ses employés en se mettant à leur écoute. Que ne l'avons-nous davantage écouté: la conversation en serait plus simple.

Lorsqu'en tant qu'externe je contacte des sociétés dont la version anglaise de leur site comporte de multiples erreurs d'anglais, je passe à regret par l'addresse E-mail générale. Celle qui permet de filtrer l'achat de services, les demandes de renseignements...et les emails comme les miens proposant une amélioration du SEO.

Ici, un autre problème court-circuite la perspective d'amélioration: une vision de l'entreprise propre à l'employé. La personne répondant aux emails n'aura pas les mêmes intérets que les reponsables de l'entreprise qui eux, seront à l'affût du moindre avantage compétitif.

J'étais récemment en contact avec une société d'aviation dont le site comportait un grand nombre de fautes jusque dans le mot “fleet” (flotte) qu'ils écrivaient “fleat”. Je n'ai aucun doute que cette nouvelle intéresserait au plus haut point le management, pourtant il était d'une part impossible de parler directement avec eux, et de l'autre l'employée avec qui j'en discutais n'y voyait pas l'urgence.

Cas similaire pour une école de langues dont le site en anglais était plein de traductions littérales et agissait comme une sorte de “carte de non-visite”. L'employée que j'eus au téléphone posa une barrière hiérarchique en m'assurant qu'elle en parlerait “ à qui de droit” tout en me laissant comprendre de ne point espérer.

Hormis ceux-ci, il peut y avoir de multiples facteurs plus subtils qui n'encouragent pas le dévelopment de progrès et qui tiennent de la politique interne d'une société. L'employé qui se verrait semoncer pour ne pas avoir remarqué le problème plus tôt considérera que le mieux sera réellement l'ennemi du bien.

Face à ces observations, et, il faut le dire, ces frustrations, j'ai donc pris une décision que je rends ici publique et qui sera de banir de mes pratiques commerciales l'utilisation d'emails au profit du porte-plume, du papier et de l'encre.

De ma plus belle écriture je m'addresserai en ligne directe aux dirigeants de sociétés en leur écrivant sans détours:

Monsieur le Directeur, Madame la Directrice,

Veuillez excuser le présent courier qui de votre temps précieux ne prendra que le nécessaire. Je dois bien malgré moi passer outre votre chaine de commandement car l'idée que je vous proposerai ne sera appreciée que par la personne qui a le pouvoir d'agir rapidement mais qui aussi comprend l'attention portée aux détails...